Anomalisa **
De quoi ça parle :
Michael Stone n'est pas un homme heureux. Père de famille en pleine crise de la cinquantaine, auteur à succès de livres de développement personnel, il doit passer deux jours à Cincinati pour donner une conférence sur les relations clientèles.
La soirée qu'il passe sur place ressemble à une triste pièce de théâtre dont il connaîtrait déjà chaque scène et chaque réplique. Tous ceux qu'il croise lui apparaissent sous des dehors terne, avec des visages inexpressifs et des voix interchangeables. Rien n'a d'importance et aucune humanité ne se dégage des échanges mécaniques que Michael doit avoir avec un chauffeur de taxi, un réceptionniste d'hôtel, ou même une ex-petite amie.
Et pourtant, alors qu'il est prêt à se coucher afin de mettre fin à cette journée interminable, Michael est soudain frappé d'entendre une voix différente au milieu du brouhaha des banalités du monde, celle d'une femme ordinaire dont le trait le plus remarquable est une cicatrice disgracieuse au coin de son œil. Pour lui, elle représente une dernière chance de bonheur, une dernière chance de vivre une histoire réelle et authentique.
Qui l’a fait ?
Duke Johnson, réalisateur spécialisé dans l'animation image par image, et Charlie Kaufman, auteur de Eternal Sunshine of the spotless mind et de Dans la peau de John Malkovitch.
Est-ce un bon film ?
L'originalité étant une chose fort rare au cinéma, il serait malhonnête de ne pas reconnaître à Anomalisa une certaine qualité. C'est une œuvre résolument audacieuse, un film d'animation « pour adultes » se focalisant sur deux jours de la vie d'un homme en pleine dépression. Il y est question du bonheur, du sens de la vie et de la valeur des relation humaines, notamment amoureuses.
Au vu de l'histoire elle-même, le choix d'en faire un film d'animation se révèle tout à fait cohérent. Notre personnage central a le sentiment d'être un pantin évoluant dans un monde factice, et l'étrangeté de la mise en scène ne fait qu'accroître son angoisse existentielle. Le choix de faire parler tous les personnages secondaires avec la même voix est aussi fort bien pensé, puisque cela illustre parfaitement l'indifférence et la futilité éprouvés au quotidien par Michael.
L'idée derrière le scénario pris dans son ensemble est également bonne. Au-delà du cynisme désespérant qui s'illustre tout au long du récit, la morale est juste et sincère. Elle tient en quelques phrases : ceux qui voient le monde comme un lieu sinistre et sans attrait sont responsables de leur propre souffrance. Chacun de nous est à son niveau un créateur d'univers, par le filtre de nos émotions et par le regard que nous portons sur les choses. Il n'y a rien de constructif dans le fait de se lamenter, et baisser les bras n'est pas un signe de sagesse, bien au contraire.
Cependant, le message ne passe pas de façon suffisamment claire ici. Bien qu'il soit très court, le film est assez lent et souffre d'un mauvais goût assumé qui freine irrémédiablement l'identification avec son personnage principal. Le spectateur ne parvient jamais à dépasser le dégoût que lui inspire Michael. Et quand en plus de ça, le film se montre carrément voyeuriste avec des scènes de nudité et de sexe on ne peut plus explicites, on se dit que le fait d'utiliser l'animation en stop motion a peut-être un peu trop libéré les cinéastes, et qu'ils auraient dû conserver certaines barrière intactes.
Parfois, la transgression pour la transgression n'apporte pas grand chose en plus. Demeure l'impression de voir mis en image un livre sordide de Michel Houellbec. On aimerait se sentir impliqué par les émotions de ces pantins qui cherchent à vivre une vie riche de sens, mais on n'y arrive jamais vraiment, et l'identification en pâtit terriblement. À l'arrivée, on regardera donc Anomalisa comme une curiosité, un objet intéressant, mais trop imparfait pour susciter une vraie adhésion.
Appréciation : au delà de ses questionnements intéressants et de l'audace de son traitement, Anomalisa déçoit, en raison d'une part de mauvais goût dont il ne parvient jamais à se détacher.
C’est pour quel public ?
Pour sa façon très directe d'aborder la question du sexe, il est clair qu'Anomalisa est strictement réservé aux adultes. Son cynisme et ses réflexions sur la dépression et l'artificialité du monde moderne le rendent de toute façon fort peu abordable pour des individus âgés de moins de 18 ans.
Verdict : à réserver aux adultes avertis.
Romain